FOCUS: gestion des sites
Article du Bulletin Syndical rédigé par Guilhem Trouillas en mai 2016
A
l’évidence, le monde professionnel du plein air est en pleine mutation. A de nombreux égards. Et ça n’est pas un
scoop. Nouvelles pratiques, nouveaux diplômes, nouvelles formations, nouvelles
formes de commercialisation, nouvelles clientèles, nouvelles attentes et
exigences sociétales, ... A bien y réfléchir, que trouve-t-on au centre de la
quasi-totalité de ces mouvements, loin d’être des épiphénomènes ? Les
sites de pratique et les questions consubstantielles (mot compte triple) de
modalités d’accès et de responsabilité.
Il
est loin le temps où le conflit d’usage représentait la seule menace à l’accès
aux parois et canyons ! Presque tout aussi ancien est ce temps où les
questions d’intégration des enjeux environnementaux étaient déterminantes et
leurs réponses suffisantes! En 2016, c’est simple : tout pose
question ! Qui définit les règles ? Qui est responsable ? Qui
est propriétaire ? Qui gère ? Qui entretient ? Qui
développe ? Qui topographie ? Qui finance ? ... euh... et qui
veut bien répondre à ces questions ?
Et
dans le doute, là encore, c’est très simple : on ouvre les parapluies du
côté des institutions tandis que les pratiquants, pros et amateurs, jonglent
pour passer entre les gouttes.
Paradoxalement,
se multiplient les différents dispositifs, plus ou moins contraignants,
règlementaires ou « contractualisés » le plus souvent dans un
contexte de rapport de force légèrement déséquilibré en faveur de positions
« molles », bien plus le résultat d’une somme d’inquiétudes que le
fruit d’une vision ou d’un projet, alimentant ainsi un peu plus encore la valse
des parapluies.
Arrêtés,
plans de gestion, conventions ... La puissance publique prendrait-elle les
choses en main ? En apparence. En
apparence seulement. En effet, ces « outils » fleurissent à défaut
d’une vraie politique globale d’organisation des sports de nature et
s’attachent au final plus à résoudre des équations concertationnelles qu’à
servir l’intérêt général ... Question cruciale de démocratie qui dépasse
largement le cadre de notre activité, certes, certes.
Mais
pourquoi (pour quoi?) et surtout comment
en sommes nous arrivés là ?
Reprenons
rapidement quelques jalons de l’histoire de ce qui aboutira au marasme dans
lequel nous baignons en ce début, bien entamé désormais, de nouveau millénaire.
1/
il faut gérer les conflits d’usages (c’est le bordel à Buoux , 1985 >
convention FFME un peu plus tard)
2/
il faut intégrer les exigences environnementales (il y a des aigles de Bonelli dans les Gorges de
l’Ardèche, des faucons pélerins dans les Vosges et des Aigles royaux dans les
Ecrins ... années 90 et 2000)
3/
il est exigé que les questions de propriété soient traitées (Plan escalade de
Casteljau, 2011, exigence de conventionnement exhaustif à 4 ans)
4/ Accident
de Vingrau : la fédération délégataire ne veut plus supporter la responsabilité
de la gestion de l’ensemble des sites de pratique. Certains seront scandalisés
par cette position mais force est de reconnaître que délégation ne signifie pas
gestion du support de pratique...
5/
En l'absence de possibilité de conventionnement et l'opportunité se présentant,
le CDFFME 07 achète une falaise ... (2014), le CDFFME 65 déconventionne tous
ses sites, ...
6/
les collectivités s’interrogent puisque plus personne ne veut conventionner,
charge historiquement assumée de sa propre initiative par la FFME ... Nouvelles
normes de classement des sites. Formations équipement avec double-corde, ...
Par ailleurs, la FFME appelle de ses voeux une réponse législative : enfin une
Loi Plein Air !?
Timidement
mais néanmoins significativement, le discours (et les actes) commence(nt) à
changer ...
Prenons
le cas de la Drôme. Le département a accepté l’insertion dans le topo qu'il
finance très largement, de sites non conventionnés ... "on a besoin de ce
topo et de ces sites"; "du moment qu'il y a information et accord des
propriétaires"...
Du
côté des mairies, Mollans innove en exhumant le statut de site de terrain
d’aventure pour des secteurs à la pointe du haut niveau en escalade sportive
d'une longueur ...
De
l’autre côté du Rhône, le discours départemental a bien changé lui aussi. En
Ardèche, non seulement la collectivité est désormais prête à conventionner
massivement (comme elle le faisait déjà auparavant sur la randonnée par exemple)
mais un pas de plus est franchi. Les mots sont prononcés : « on
conventionne les accès d’abord et surtout ; de toute façon, se pose la
question de l’existence foncière d’une paroi lorsque-cas fréquent- elle est
limite de parcelles... ». 3 ans plus tôt, l’accord écrit des propriétaires
du haut et du bas était exigé. Aujourd’hui, ça n’est plus prioritaire.
Un "courage
institutionnel" qu'avait déjà eu les Alpes maritimes en matière de
canyonisme depuis bien longtemps.
En
matière d'accès aux sites, le salut viendrait donc des départements, acculés à
prendre en charge ce fardeau, face aux enjeux économiques-touritiques et
socio-sportifs ... du moins, en l'absence et dans l'attente d'une Loi Plein Air
qui réhabiliterait la notion (de bon sens) d'acceptation d'un risque inhérent à
la pratique et au milieu naturel dans lequel elle se déroule. En matière de
responsabilité et de conventionnement, on en est donc là dans deux départements
laboratoires du plein air côté administratif.
Il
ne resterait donc plus qu'à prendre son mal en patience si l'épouvantail que
constitue ce trou noir juridique en passe d'être comblé (on y croit, on y
croit, ... 10 ans à tenir... y'a qu'à serrer les dents) n'avait pas eu pour
autre conséquence délétère l'effarouchement institutionnel général sur le plan
politique... Par politique, j'entends la gestion des sites en termes de projet,
d'avenir, d'organisation à l'échelle d'un massif ou d'un bassin de vie. Un
champ franchement délaissé à l'heure où la finitude de notre terrain de jeu,
l'évolution des pratiquants et le vieillissement des équipements sont bien loin
d'être des considérations abstraites.
Les
grimpeurs, professionnels de l’enseignement de la discipline ou amateurs
passionnés, n’ont pas attendu que fédération(s ?), Etat et collectivités
assument clairement sinon leur désintérêt/désengagement, une frilosité certaine
en la matière, pour agir et continuer "d'animer» et faire vivre leur
patrimoine vertical.
Au
milieu des innombrables initiatives personnelles ou collectives qui ont fait ce
patrimoine et son évolution, notons VTNO en Isère, Atout Roc dans les Alpes
Maritimes et plus récemment Greenspits dont l’ambition affichée est plus vaste ...
Détails qui, au final, n'en sont pas tout à fait : Greenspits parle gestion,
environnement, durabilité et instances locales.
On se croirait presque sur la page web "SNE" de la FFME il y a
10 ans ...
En
Ardèche (encore), comme dans d'autres départements, les pros du plein air et
particulièrement ceux issus du désormais quatuor à cordes s'organisent au sein
de PSN07. Une formule existante déjà dans d'autres coins mais qui ici est en
train de se voir confier par la collectivité départementale des missions de
gestion de sites, d'intérêt professionnel bien sûr mais pas que ...
On
savait depuis longtemps que les pros, dans le cadre de leur activité économique
directe ou en qualité de pratiquant.e.s passionné.e.s, se trouvant être
titulaires d'un diplôme professionnel, jouaient un rôle majeur dans la vie des
falaises perfo à la main.
Dans
le contexte actuel, on peut sérieusement se demander si le monde professionnel ne
constitue pas en fait le seul acteur en jeu aujourd'hui à pouvoir conjuguer
défense de valeurs collectives (qui vont au de là du champs professionnel et
qui relèvent plus largement d'une culture et d'une histoire) et intérêt
fondamental/vital à agir puisque c'est aussi notre gagne-pain ...
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