FOCUS: contribution des pros à la gestion des sites et organisation locale

Article du Bulletin syndical du SNAPEc rédigé par Guilhem Trouillas en mai 2017



Dernières nouvelles de la Brine et du Coureau ...

            Kévin, 24 ans et son diplôme en poche, veut s'installer dans la vallée de la Brine. Il a fait une bonne partie de son stage pédagogique chez celle qui était donc sa tutrice l'an dernier, Sylvie, 42 ans et 17 ans de plein air, qui gère le Bureau des Moniteurs (5 BE/DE en pleine saison) dans la vallée voisine du Coureau.

            Il veut s'installer en indép' et proposer des produits différents, avec une autre approche et sur d'autres sites qu'il lui tient à coeur de développer mais continuer à travailler régulièrement pour Sylvie et le BDMC pour assurer un peu de rentrées d'argents et parce qu'il aime bien leur façon de travailler. La vallée du Coureau, c'est super mais c'est déjà très touristique, y'a plus la place pour s'installer et les sites sont blindés. Kévin a envie de proposer des activités dans des cadres plus sauvages à ses clients et être lui, plus peinard.

            Dans le Coureau, les pros locaux se sont organisés en association (PPA pour Pros Plein Air) pour faire entendre leur voix auprès des collectivités notamment et pour organiser la pratique professionnelle, histoire de limiter les problèmes liés à la très forte fréquentation commerciale des sites. Faut dire que ces dernières années, entre l'arrivée de nouveaux diplômés qui se lancent dans une installation perso, les groupes de Coureau Aventure -basé à Vallin sur Coureau, à 50Km en aval (une petite heure de route), à proximité du Lac des Mises- qui bosse avec une grosse plateforme Internet qui leur envoie gras de monde et des moniteurs sous-traitants qui viennent presque tous de loin (mais sont ravis des conditions dans lesquelles ils bossent: logés-nourris sur place, ils peuvent faire régulièrement 3 rotations et y'a une bonne ambiance entre les moniteurs), la privatisation du Pirlimont dont Fred a acheté la dernière vasque de sortie en même temps que la maison qu'il retape juste au dessus, le nouveau parking communal payant aux Taradels (avec de belles toilettes et un beau sentier bien indiqué) et les itagnols dont on ne connait pas bien les diplômes et qui n'hésitent pas à traverser la frontière pour venir bosser ici, le contexte est tendu !

            Kévin est DE escalade en milieux naturels, et envisage de passer le DE canyon. En même temps, certains aspects du canyon pro le rebutent : beaucoup de monde, les interdictions, les parkings payants, ... Il se dit que cette année en tout cas, il va essayer de développer l'escalade... Il a pas mal d'idées : un site école à réhabiliter, une grande voie facile à équiper sur une belle arête et un parcours genre via corda qui serait super dans un coin pommé... De quoi être enthousiaste ! Et pour Sylvie, sa tutrice de l'année dernière, c'est une belle opportunité. Elle se dit que ça peut faire du bien qu'un jeune pense un peu autrement que les "vieux de la vieille" dans lesquels elle s'inclut. 

            En attendant, à Pros Plein Air, depuis que le Département l'a fortement suggéré, on se pose sérieusement la question de s'il faut oui ou non accepter cette taxe départementale sur les activités de plein air visant à co-financer un poste de chargé de mission CDESI ...

            A part Fred qui a acheté le Pirlimont (il voulait pas l'interdire aux autres au départ, y'a 4 ans ... mais il en a eu marre que Coureau Aventure se radine à 5 groupes tous les jours et passent en braillant sous sa baraque. Marre aussi de Jean-Luc, un gars sympa avec qui il grimpait y'a 20 ans mais qui ne veut pas comprendre qu'il faut absolument pas se garer dans le virage après le gros chêne mort parce que ça fait chier Didier quand il veut sortir son tracteur), tous les pros du coin dénoncent radicalement les accès payants et la privatisation des sites ... Enfin, cela dit, tout le monde va quand même à la via payante des Deux-Eaux qui surplombe la confluence de la Brine et du Coureau. Y'a 6 ans, quand le maire de Mazes-les-Deux-Eaux avait annoncé la création de cette via et que par ailleurs il envisageait de la rendre payante aux pros, tout le monde avait ralé. Maintenant, c'est rentré dans les moeurs... Pourquoi pas, c'est bien foutu, y'a un parking, un petit snack et la via est bien entretenue...

            Seb de Coureau Aventure pourrait aussi mentionner le cas de Philippe qui a un arrangement (rien de méchant: en échange, Philippe prête une grande tente marabout pour la fête du club de pétanque) avec son voisin Gérard, qui lui permet de laisser se garer ses clients dans son pré pour aller faire la rando aqua du Fivelet. C'est vrai que Philippe fait bénéficier de ce petit arrangement Sylvie, avec qui il s'entend bien depuis longtemps, et qui vient ponctuellement sur le Fivelet avec ses groupes (1 ou 2 fois maxi par semaine en pleine saison) tandis que le Fivelet n'est accessible de fait à personne d'autre (difficile de se garer ailleurs, la route n'est pas large!). Et Seb de Coureau Av', ça l'arrange pas du tout parce que ce serait le parcours parfait pour les EJF/EJG du printemps ...

            Bref, quand même, globalement, tout le monde pense que l'accès payant ou la privatisation, c'est nase.

            Kévin aussi pense que c'est nase.

            Alors que la via corda qu'il a équipée se révèle être un super parcours et qu'il a pas mal de clients pour ça, Kévin voit d'autres groupes se pointer sur "son" parking de temps en temps. No souci. Il se dit que c'est plutôt gratifiant au fond. Jusqu'à ce jour du 17 août où, connement, un gamin se viande le genou sur la marche de retour et que les secours sont appelés ... Autant dire que son parcours n'est désormais plus confidentiel du tout ... et que ça interpelle les Bréchard, ces 3 frères et soeurs propriétaires de la parcelle principale en indivision...

            Paul, par ailleurs premier adjoint du village, voit plutôt d'un bon oeil cette activité mais souhaiterait que ce parcours soit officialisé. Il ne sait pas bien comment encore mais il veut que les choses soient bien faites. Pierre, lui, ne voit pas d'inconvénient à ce qu'il y ait des touristes qui "fassent du funambulisme sur son terrain comme l'autre fadat  qu'on voyait à la télé" mais il ne veut pas qu'on fasse du pognon sur son dos. Surtout avec la petit retraite qu'il a. Et son point de vue s'est radicalisé quand il est tombé sur le site Internet de Coureau Aventure qui "vend comme de la lessive" la visite de ses terres ... Hélène, la soeur de Paul et Pierre, ne sait pas trop quoi penser de tout ça mais elle sait par contre deux choses : elle ne veut pas d'emmerdement et elle est attachée à sa tranquilité dans la vallée de la Brine, à l'écart de l'effervescence estivale de la vallée principale du Coureau ... 

            Après ce coup d'arrêt en pleine saison, dans l'hiver suivant, Paul trouve la solution et convint avec l'appui de Marlène, qui tient l'épicerie-bistrot sur la place et qui est au conseil municipal depuis la dernière élection, Francis, le maire, jusque là pas des masses disposé à oeuvrer en faveur des sports de plein air pour la simple raison qu'en 2006 un raid multisport avait eu la mauvaise idée de passer sur ces terrains sans le prévenir et qu'il avait retrouvé des mois plus tard de la rubalise un peu partout. Bref, Paul a la solution : la mairie va mettre à disposition gratuitement un terrain officiellement ouvert à tous les pros et pour Kévin un petit local à proximité immédiate contre un petit loyer. Ce terrain permettra d'emprunter un autre accès que celui qui passait pas loin de chez Hélène Bréchard. Hélène ne sera plus dérangée... Quant à Pierre, son frère Paul, l'a lui aussi convaincu de ne pas demander de loyer ou de pourcentage sur les recettes de Kévin pour cette année. D'autant plus que ce n'est pas très clair sur le cadastre : en fait la falaise est en limite de parcelle, le nouvel accès et le bas sont à la mairie et seulement le haut à la famille Bréchard.

            Mais Pierre a prévenu : "le petite jeune OK. Par contre, je ne veux pas voir ceux de Coureau Aventure".   Kévin est un peu embêté de se retrouver dans cette situation. Mais c'est temporaire, juste pour la saison à venir : il voudrait faire en sorte la saison suivante que ce soit ProsPleinAir dans lequel il s'est investi à l'automne, qui gère sans ambiguité et collectivement l'accès à cette via corda ...

            Entre temps, ProsPleinAir a changé ses statuts et n'acceptent désormais comme adhérents que les professionnels exerçant et résidant en amont du Lac des Mises ... donc pas Coureau Aventure. Coureau Aventure qui, grâce entre autres à Julie, employée au "bureau" à plein temps là-bas, a mis en place un système de petits carnets de route qui promeut vachement et invite leurs clients à consommer à proximité des sites de pratique via un réseau de partenaires locaux (hébergeurs, restaurateurs, ...). Par ailleurs, cet été, Coureau Aventure va faire plus appel aux indeps de la vallée ... Une manière de rendre la pareille notamment à Philippe qui a bien dépanné Seb sur deux trois sorties au printemps et qui a été le seul avec Fred (un autre) à s'opposer à l'idée qu'il n'y ait que les locaux qui puissent adhérer à ProsPleinAir ...

Si lire jusqu'au bout cette petite histoire vous a paru extrêmement fastidieux, c'est qu'il est peut être temps de réagir ensemble si nous ne voulons pas devoir individuellement nous plonger d'ici peu dans d'inextricables histoires de la sorte juste pour aller gagner notre croûte !!!


            Vous le savez, le SNAPEC défend depuis toujours l'accès libre et gratuit aux sites naturels de pratique. Un principe mis à mal ces dernières années par les professionnels eux-mêmes !

            En effet, ici et là, on ne s'en tient plus à la bouteille de vin offerte au gars du coin pour le remercier de tolérer le passage de groupes sur son terrain ... Les moyens ne sont plus les mêmes. Les finalités parfois non plus ...

            Ce qui nous occupe ici n'a plus rien d'une exception. Qu'il s'agisse de privatisation (entendue comme toutes démarches visant ou ayant pour conséquences la limitation de l'accès à une entité seule ou groupe fermé) ou de marchandisation (toutes démarches visant ou ayant pour conséquence l'accès payant au site naturel de pratique), ces phénomènes se répandent sur tous les territoires, en canyon comme en escalade. On peut les déplorer, résigné. Certains sont évidemment tentés de mettre un doigt dans l'engrenage pour "sauver" leur activité. D'autres -encore rares mais ils existent- assument carrément pleinement leur choix et revendiquent leur adhésion à ce nouveau paradigme. On peut aussi agir dans l'intérêt de tous pour éviter la généralisation et avant cela la banalisation de ces privatisations-marchandisations de la nature qui, à plus long terme, ne bénéficient même pas systématiquement à celles et ceux qui ont cru que payer ou acheter leur garantirait un exercice du métier confortable. Les expériences "les plus avancées en la matière" (!!!) le montrent sans ambiguité : apprentis sorciers ou partisans de longue date de ces pratiques se retrouvent, un jour ou l'autre, face à des coûts qui explosent, à des questions nouvelles de responsabilité, à la réprobation des collectivités publiques, et évidemment à la colère de celles et ceux qui sont privés du droit de parcourir cet espace.



Proposition de grille de lecture syndicale des situations de privatisation-marchandisation (G.Trouillas)




            Mais attention : brandir l'étendard du sacro-saint principe de l'accès libre et gratuit ne suffit pas. On ne peut défendre ce principe qu'en s'interrogeant sur notre propre responsabilité dans les dérives qui participent à ce dangereux glissement. Au de là des fermetures règlementaires et des évolutions sociétales qui nous dépassent parfois, on retrouve les mêmes éléments qu'il incombe aux pros de traiter si nous voulons être crédibles :

            - concentration de la fréquentation et nuisances induites (soucis de parkings,           de salubrité, de dérangement ...)
            - acceptation sociale et intégration dans le tissu socio-économique local
            - image de "parc d'attraction" renvoyée par l'activité professionnelle qui laisse            entendre d'une part que l'espace est dénaturé et par ailleurs que des profits     sont générés sur un espace naturel gratuit, de ce fait ainsi considéré comme           "exploité"

            Soyons raisonnables et cohérents.

            On ne peut pas utiliser un site ou un itinéraire massivement et régulièrement            sans contribuer à sa gestion, à son entretien et à l'organisation de sa       fréquentation. 
            On ne peut pas revendiquer la liberté d'aller et venir dans l'espace naturel      sans prendre en considération sa dimension d'espace rural : les pratiques, les         représentations et le tissu socio-économique local.

            On ne peut pas, par confort d'encadrement, multiplier ou systématiser les      équipements à demeure et attendre des pouvoirs publics, gestionnaires de            site et propriétaires un traitement autre que celui d'un parc d'attraction. 
            Trois affirmations de "bon sens" qui appellent des questions techniques de moyens et de méthode (comment s'organise-t-on collectivement ? de manière informelle ? association ? syndicat local ? section locale ? une charte suffit-elle ? une convention est-elle nécessaire?) et trois questionnements politiques aussi profonds que délicats si on souhaite - et c'est bien le but du syndicat et des pros ! - les appliquer, conjuguées à nos valeurs fondamentales, de manière tout à fait concrète.

La question de la contribution des pros à la gestion et à l'entretien des sites naturels parcourus.

            Ah merde. Pas facile du tout ça. On commence pas par le plus simple.

            La première des réponses est que, dans bien des sites fréquentés professionnellement, c'est déjà le cas : l'équipement a été pensé et réalisé puis entretenu par des pros selon des modalités très variables.

            La deuxième des réponses est que globalement, la contribution des pros à la vie des sites de pratique s'étend bien au de là des "spots commerciaux" et qu'en conséquence  une très large population (pratiquants amateurs licenciés ou non, commerçants, hébergeurs, ...) bénéficie directement ou plus indirectement de l'existence de nos corporations de "métiers passion". 

            La troisième des réponses est "oui mais pas toujours quand même...".

            Quoi faire alors si/lorsque rappeler ou valoriser ce qui est déjà fait ne suffit pas ?

            - "mettre dans la boucle" collectivités voire Etat si besoin. Les fédés le cas échéant.
            - penser la contribution d'abord en termes d'actions, d'organisation, d'engagement et de garanties plutôt que de "redevance"

            Si jamais la contribution financière s'avère inévitable :

            - ne céder à aucune contribution qui reviendrait à un droit d'accès au site naturel.
            - n'envisager une contribution financière qu'à la gestion, à l'entretien ou à l'organisation de la fréquentation d'un site. Contribuer à un service utile est une chose, la rémunération d'un patrimoine naturel en est une autre !
            - n'envisager une contribution financière qu'à la hauteur du volume et des impacts avérés de la pratique pro, étant pris en considération l'ensemble des populations bénéficiaires du site et à l'aune de la participation globale des pros dans la vie des activités de plein air abordée plus haut (à l'échelle du territoire, du massif, de la vallée, ...).

            En palliant au défaut de prise en charge des problématiques de l'espace naturel par la puissance publique, on est là déjà loin de l'idéal. On limite juste la casse ...

            Et encore faut-il ne pas tomber dans le cercle vicieux du péage justifié par l'aménagement qui lui-même justifiera le futur péage pour permettre un nouvel aménagement nécessité par l'augmentation de la fréquentation attirée par cet espace si bien prévu pour accueillir ...

La question du "local"

            Hors de question évidemment de penser que le professionnel local serait plus vertueux ou plus légitime par essence. Le SNAPEC n'est pas près de défendre une préférence locale aux relents nauséabonds ! 

            Par contre, il ne s'agit pour autant pas pour les pros de fermer les yeux sur des pratiques commerciales "hors sol" qui consistent à vendre en masse et à distance une prestation  sur un territoire dont on n'a que faire par ailleurs.

            Si le local n'est évidemment pas nécessairement plus vertueux professionnellement, il a tout de même le "mérite de fait" de très probablement contribuer au développement local plus substantiellement, ne serait-ce qu'en étant installé dans une commune où chaque famille compte pour la survie du village.

            Alors, oui, bien sûr, des sites ouverts à tou.te.s., d'ici ou d'ailleurs. Mais des sites pour lesquels tou.te.s s'impliquent à la hauteur de sa fréquentation ou de son chiffre d'affaire ... étant entendu que la réalité en la matière est là aussi très loin d'être manichéenne, les petits indéps n'étant pas mieux que les grosses boîtes.

La question de l'aménagement de nos sites naturels d'exercice.

            Déjà abordé dans des bulletins syndicaux précédents (et certes, pour autant pas tout à fait résolu ...), on peut ajouter tout de même au sujet de ce troisième point que si dans la loi, l'environnement spécifique n'est pas défini autrement que par la liste des disciplines ou domaines de disciplines (hum hum) concernés, la référence faite aux normes de classement rédigées par la FFME en matière d'escalade laisse percevoir tout de même un lien ténu entre environnement spécifique et environnement non standardisé/able... En conséquence de quoi, non seulement la défense de l'environnement spécifique et d'un champ d'application étendu est essentielle mais cette dernière doit s'accompagner d'une révision individuelle et collective de nos pratiques professionnelles sur le terrain.

            Il ne s'agit pas de bannir les parcours acrobatiques mais de ne pas transformer systématiquement par nos usages les sites de pratique en quelque chose qui alimenterait un peu plus encore l'idée que nos équipements sont des aménagements. Introduire (là où c'est possible et pertinent) dans nos "parcours" un peu plus d'assurage en mouvement, un peu plus de mains courantes rappelables ou de tyrolienne à installer, c'est d'une part de ne pas oublier que nous sommes des éducateurs sportifs et pas des opérateurs PAH (et qu'à ce titre, nombre d'entre nous bénéficie d'une franchise de TVA ...) et d'autre part, ne pas se tirer une balle dans le pied à plus long terme ... 

Organisation collective, prise en compte du territoire et responsabilité

            Les solutions satisfaisantes et durables aujourd'hui ne sont jamais toute simples et certainement pas individuelles. Penser son activité économique en termes d'organisation collective et de territoire fait tout simplement partie du métier de celui.celle qui propose des prestations d'encadrement d'activités de pleine nature en 2017. Si nous ne nous emparons pas, localement comme nationalement, de ces questions dès aujourd'hui, d'autres, moins au fait ou moins soucieux de nos intérêts et des spécificités des activités de pleine nature, les règleront pour nous !











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