FOCUS : conventionnement, classement et équipement

Article du Bulletin Syndical du SNAPEC rédigé par Guilhem Trouillas en novembre 2016.


La « nouvelle » a circulé rapidement : au cours de son dernier CA, la FFME, historiquement à l’origine de l’immense majorité des fameuses conventions (800 sites concernés en France), a voté il y a quelques semaines à l’unanimité moins une abstention l’arrêt de toute nouvelle démarche de conventionnement de SNE et la possibilité d’envisager une politique de déconventionnement.

Rien que ça !

Quand on sait que si beaucoup de sites[1] ne font l’objet d’aucune convention et restent libres d’accès, d’autres, nombreux et très fréquentés, ne doivent leurs saluts (enfin, le nôtre) qu’à ça, ça peut sacrément faire frémir ...

La nouvelle fracassante l’est nettement moins –fracassante- dès que l’on se penche sur la politique menée ces dernières années : dans les faits, tout ça est pour ainsi dire en vigueur depuis 4-5 ans. Voilà simplement un choix politique qui dit désormais son nom. Et en cela, cette nouvelle est une des meilleures que l’on ait reçue depuis des lustres... Les choses sont désormais bien claires.

Je ne crois pas que l’on puisse honnêtement reprocher à une fédération de refuser de supporter la responsabilité collective (et son coût) de l’accès libre et gratuit pour tou.te.s à des sites de pratique. C’est à l’évidence une question politique très large ! Je crois par dessus tout qu’il serait bien sévère de reprocher à la FFME de refuser d’assumer entièrement les conséquences d’un choix, fait par une société qui ne reconnait plus la notion d’acceptation des risques [2](lorsqu’il s’agit de dommages corporels) dans le cadre d’une activité de pleine nature.

 Par contre, on peut sérieusement s’interroger quant à la résistance opposée à cette tendance sociétale lourde, déplorée plus ou moins largement dans le milieu de l’escalade.  Et force est de constater que précisément, nous avons beaucoup constaté.

Reprenons les choses par le début.

1/ Années 80-90 : Le conventionnement tel que proposé par la FFME répondait initialement à un seul souci de gestion/anticipation des conflits d’usage : on convient des modalités d’utilisation de l’espace à des fins sportives avec le propriétaire de cet espace. 

 2/ Années 80-90 : Parallèlement, de fait et parfois insidieusement, la question de la responsabilité s’immisce dans le conventionnement. On conventionne alors aussi pour (et souvent par ce biais...) rassurer le propriétaire vis à vis de sa responsabilité (en tant que gardien de la chose). Il y a transfert de responsabilité vers la structure passant convention et organisant la pratique. En même temps, judicieusement, les consignes fédérales de sécurité [3] , références établies par la fédération délégataire,(étendues en 2001 aujourd’hui à toutes les activités proposées par la FFME), placent très clairement le pratiquant en responsable de sa propre sécurité (hors mineurs et pratique encadrée bien sûr). Le texte précise sans ambiguité que le pratiquant doit savoir reconnaitre un terrain ou une prise instable, un aménagement ou un ancrage vétuste ou inapproprié. Plus loin dans le texte, on en remet même une louche, la FFME affirmant considérer indispensables (...) l'apprentissage de l'appréciation des risques ;  l'apprentissage de la distinction entre équipements fiables et équipements vétustes, insuffisants ou abandonnés.

3/ Années 2000 : Le distinguo est fait entre convention visant une pratique de type sportif et celle de type « terrain d’aventure », référence faite à la norme de classement des sites[4]. Le terrain d’aventure est défini comme ce qui ne relève pas du « sportif ». On comprend bien la logique technique confortable dont relève cette définition mais  formulée telle qu’elle l’est (ne serait-ce que l’ordre dans lequel apparaissent les définitions ...), elle laisse entendre précisément que le site sportif est la « norme », et le terrain d’aventure l’exception. A l’évidence, ça n’est pas le cas sur le terrain et ça ne le sera jamais ! Et par ailleurs, ça n’arrange personne sauf à vouloir sportiviser à tout prix l’image de escalade. Rien n’empêchait de rédiger cette norme en renversant l’angle d’attaque tout en conservant l’idée d’une « définition en miroir » du terrain d’aventure comme tout ce qui n’est pas sportif. Il aurait suffit de poser -explicitement donc- le site terrain d’aventure comme cas général et le site sportif exception. Au passage, l’idée de site sportif en aurait été d’autant plus valorisée ...

4/ Années 2000 : Une norme d’équipement est établie ; la définition d’un site sportif intègre des exigences accrues en termes de sécurité et de fiabilité du « support » ; la notion de secteur découverte est définie ; bref, un pas de plus vers l’aseptisation décrétée est fait.

5/ Années 2010 : Triste accident de Vingrau. On revient sur les normes et on se montre beaucoup plus prudent quant à ce qu’un gestionnaire de site peut mettre en oeuvre et (donc ?) garantir. La notion de risque, sans que le mot ne soit vraiment prononcé, revient dans la définition d’un site sportif : un site sportif présente des zones variées ; le milieu naturel n’est pas homogène et peut s’altérer dans le temps, entraînant de possibles chutes de pierres.

6/ Années 2010 : la notion d’environnement spécifique, lointain descendant de ce qui permettait de lister les sports à risques dans le droit français, « justifie » la création de deux diplômes autour de l’enseignement de l’escalade puisque les pratiques plurielles de l’escalade sont considérées pour partie en environnement spécifique et pour l’autre hors environnement spécifique: le DEJEPS escalade en milieu naturel et le DEJEPS escalade. Comme leurs intitulés l’indiquent judicieusement (ah ah ah), le premier donne toutes prérogatives y compris en salle tandis que le second se limite et se spécialise dans le non-spécifique ...

On peut tout de même désormais se réjouir de l’actuel préambule commun aux normes de classement des sites et d’équipement qui réhabilite des notions de bon sens dans le discours de la fédération délégataire qui s’était un temps clairement laissée tenter par l’idée de l’escalade sans risque.

La pratique de l’escalade ne trouve sa justification historique et profonde que dans la fréquentation d’un milieu naturel que la fédération souhaite protéger, où une dimension aléatoire persiste. L’escalade, hors structures artificielles, se déroule sur des sites naturels qui ne seront jamais, malgré tout le soin apporté à leur aménagement, des lieux de pratiques aseptisés et homogènes. Cette position n’exclut évidemment pas un aménagement adéquat pour la pratique de tous niveaux dans des sites conçus dans cet objectif.

Les plus attentif.ve.s/pointilleux.ses/militant.e.s noteront tout de même, qu’en dépit de ce retour à un discours responsable quant à la pratique en milieu naturel, demeurent des éléments dont le rédacteur semble avoir du mal à se départir tels que aménagements et sites conçus. Il eut été pourtant très aisé de dire en substance la même chose tout en évitant d’adopter docilement le langage qu’on veut imposer aux sports de plein air.

De la nécessité de penser administrativement autrement l’escalade en milieux naturels.

Alors, oui, il faut bien remettre tout ça dans un contexte juridique vaporeux, mouvant et précaire. Entre environnement règlementaire éclaté dans différents codes, tâtonnement du législateur  et jurisprudences rares et parfois contradictoires, il y a certes de quoi se poser des questions.

Retenons que tout à la fois, la loi et la jurisprudence nous indiquent que :

-       les activités de pleine nature induisent des risques contre lesquels tout pratiquant doit se prémunir par une pratique adaptée à son niveau technique, sa forme physique et le milieu traversé par le parcours [5]
-       au sein de parcs nationaux, réserves naturelles et dans le cadre du PDIPR, la responsabilité des propriétaires, collectivités et/ou gestionnaires est appréciées au regard des risques inhérents à la circulation dans des espaces naturels ayant fait l’objet d’aménagements limités (...) art L 365-1 du code de l’environnement
-       les propriétaires riverains de cours d’eau et du littoral bénéficient d’une exonération légale vis à vis de leur responsabilité délictuelle du fait des choses (art 1384-1 du code civil) ... mais cette exonération ne s’étend pas (plus !) aux propriétaires d’espaces naturels/ruraux ...
-       l’arrêt de principe de la Cour de Cassation du 4 novembre 2010 met un terme à la notion d’acceptation des risques ...
-       tandis que la loi du 12 mars 2012 relative à l’organisation des manifestations sportives et culturelles réhabilite cette notion mais dans le cadre strict des dommages matériels ...

Ca penche tantôt dans notre sens, tantôt dans celui du « faute-de-l’autrisme ». Bref,  on ne sait pas bien où on en est.

Ce qui ne doit pas nous empêcher de savoir ce que l’on veut !!!

Franck Lagarde, dans une étude réalisée[6] en 2014 pour le Pôle Ressource Sports de Nature, et par ailleurs, juriste conseillant la FFME, évoque en conclusion plusieurs pistes pour sortir de l’impasse :

- exonération légale de responsabilité civile aux propriétaires d’espaces naturels/ruraux
- clauses responsabilisant le pratiquant dans les contrats d’autorisation d’usage
- conventionnement par les collectivités plutôt que par les fédérations
- définition fine de ce que recouvre l’aménagement d’un site dans les contrats d’autorisation d’usage et donc de l’entretien qui pourrait en être attendu par le juge
- amélioration de l’information, du balisage et de la signalétique à destination du pratiquant
- définir plus clairement le champ de la mission de service public délégué aux fédérations : le conventionnement par une fédé délégataire relève-t-il d’une mission de service public !?

Entre-temps, le jugement de l’affaire de Vingrau est venu un peu bousculer certaines de ces pistes ; on peut par ailleurs clairement discuter de certains points et notamment du fait que les départements <devraient> veiller à n’inscrire au PDESI que les ESI dont ils sont à même d’assurer le suivi et l’entretien/maintenance mais dans l’ensemble, tout ça parait sensé et pourrait bien faire consensus.

Mais avant de nous ruer trop vite sur des solutions juridiques et techniques, qui pourraient apparaitre comme sinon providentielles, au moins salvatrices après ces années d’errance,  il serait tout de même intéressant d’en profiter pour redéfinir et ré-affirmer (!) un cadre idéologique  et d’ainsi placer ces réponses techniques au service d’un système de valeurs partagées. Plus concrètement, ça veut dire : éviter de se mordre les doigts dans 10 ans des conneries faites par précipitation aujourd’hui ...

Un des risques fondamentaux à mon sens, est celui de mettre au centre de notre conception de l’escalade l’équipement. Le mot lui-même est porteur de sens. Deux effets pervers conjoints : la notion d’équipement laisse entendre que ce dernier est indispensable et préalable à toute pratique (c’est la mort philosophique qui ne tarderait pas à être suivie d’une mort bien physique du terrain d’aventure) et par ailleurs, la connotation « aménagement » du mot équipement entretient l’idée d’une gymnasification consentie du plein air et de ce fait, fait porter à l’équipeur (et/ou au gestionnaire) une certaine responsabilité ... Une balle dans le pied, quoi.

D’où l’intérêt selon moi de découpler fermement et rigoureusement la notion d’ouvreur/ouverture de l’état ou du niveau d’équipement d’un itinéraire/un site ...

Tout ça pose clairement la question du statut juridique bien sûr mais aussi social de l’équipeur et de l’acte d’équiper. Si l’on continue nous-même grimpeurs à placer appart l’équipeur, on est foutus. En 2016, le cadeau – empoisonné - de la reconnaissance accordée –légitime- s’accompagne de fait d’une responsabilité confiée dont on se passerait volontiers individuellement évidemment mais aussi collectivement. Tout l’enjeu est de sortir d’une logique d’aménagement préalable donc d’aménageurs nécessaires et d’utilisateurs passifs, et de reconsidérer l’équipement comme simple outil parmi d’autres de parcours d’un itinéraire, dans le cadre d’une ouverture ou d’une répétition. Equiper (au sens d’« ouvrir » donc) est un acte de grimper (dans un environnement spécifique ...) et ne doit pas, au moins dans nos têtes, relever d’une quelconque manière des travaux publics.

Corollaire de ça, la réversibilité-permanence des points de protection, débat malheureusement souvent tranché jusqu’à aujourd’hui en notre défaveur par l’administration, notamment en 2013 dans le cadre des obligations liées aux évaluations d’incidence Natura 2000.  Il suffirait probablement de quelques améliorations technologiques en matière d’ancrage pour soulever de nouveau la question ...

On notera au passage qu’aujourd’hui curieusement, celui dont l’essence de l’action est de créer de toutes pièces une suite de mouvements en salle en installant matériellement des prises « ouvre une voie » tandis que celui qui fondamentalement décèle un itinéraire possible dans un milieu naturel est supposé l’équiper ... Curieux renversement sémantique, non ?

Soyons lucides tout de même, si nous sommes condamnés, dans un cadre circonscrit géographiquement ou temporellement, à proposer à l’Etat et aux collectivités des sites particuliers pour lesquels on pourrait officiellement parler d’équipements (appelons ça des sites surveillés plutôt que des sites sportifs !?), nous avons donc à définir un fonctionnement qui, en premier lieu ne mette en rien en péril l’existence de ce qui est autre (la couenne équipée sur site non surveillé et le terrain d’aventure) et par ailleurs qui ne cède pas aux sirène du risque zéro. En d’autres termes, il s’agit de faire entendre et faire accepter aux pouvoirs publics que l’intérêt (public !) d’un site d’escalade (et plus largement d’un site/itinéraire de pleine nature) ne doit pas être indexé sur son niveau d’aménagement ...

Curieuse époque que celle qui, capable de rêver de nature sauvage à longueur de reportages exotiques et de dispositifs environnementaux, a du mal à concevoir le parcours libre et responsable de ces mêmes espaces ...

A l’évidence, tout ça n’est pas gagné.

Mais puissions nous tous garder à l’esprit que la résistance n’est pas qu’une affaire d’avant-bras entrainés ...










[1] D’après annuaire FFME des sites d’escalade : 2700 sites de pratique en France au total; 800 sites conventionnés (1080 conventions) ; 2090 sites autorisés (= non interdits)

[2] Arrêt de principe de la Cour de Cassation du 4 novembre 2010 et loi L 2012-348 du 12 mars 2012
[3] http://www.ffme.fr/uploads/federation/documents/reglements/directives-et-chartes/directives-consignes-securite.pdf
[4] http://www.ffme.fr/uploads/federation/documents/reglements/escalade/2013-normes-classement.pdf
[5] CAA Lyon, 12 juil. 2012, req. n° 11LY01924, préc ; CAA Lyon, 8 avr. 2010, req. n° 08LY00275 ; CAA Nancy, 10 nov. 2004, req. n° 99NC02386 ;


[6] Analyse juridique des pratiques et outils de contractualisation pour l’accès et la pérennisation des espaces, sites et itinéraires de sports de nature, étude réalisée par Franck Lagarde. Consultable sur http://www.cdesi-sportsdenature.fr/docs/news/10/Analyse-juridique-pratique-contractuelles_PRNSN-CDES_2014.pdf

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